"Up above the world I fly, like a tea tray in the sky"

Bienvenue dans mon humble demeure. Essuyez-vous les pieds en sortant.

dimanche, août 02, 2009

Falling


Je suis de retour ici. Ici, là où il pleut plus que souvent, où les détonations destinées à éloigner les oiseaux des pommiers rythment le jour et la nuit. Les épouvantails ont disparus, eux aussi ont succombé aux machines et à leurs déflagrations régulières. Parfois les corbeaux ne s'y laissent pas prendre. C'est alors aux canons des fusils de tonner de leur vacarme qui n'a, cette fois, plus rien d'inoffensif. Et il ne reste que des plumes. Ici on mange des pommes de terre. Beaucoup de pommes de terre. Ici les drapeaux fleurissent dans chaque rue et flottent orgueilleusement du haut de leur hampe, Union Jack et drapeau nord-irlandais d'un côté, drapeau tricolore irlandais de l'autre. Les trottoirs sont peints des mêmes couleurs et les murs sont parsemés de slogans équivoques à la gloire de l'un ou de l'autre camp. Ici il y a des lits chauffants que l'on peut activer à volonté à l'aide d'une sorte de télécommande électrique. Ici c'est la campagne et son rythme de vie. On mange quatre fois par jour et le beurre ne va pas au réfrigérateur mais dans le garde-manger où il ramollit de jour en jour. On ne mange pas de pain si ce n'est l'étrange wheat bread qu'elle prépare. Il et elle mangent ensembe, nous ne mangeons qu'ensuite, selon un rituel apparement immuable. Des pommes de terre. Il parle peu, très peu, ses quelques phrases me sont parfois destinées. Je ne comprends généralement pas grand chose à ce qu'il me dit mais peu importe, je souris quand il faut ou je plonge dans ma tasse de thé pour m'y réfugier, bien au chaud. Il m'épluche mes pommes de terre au couteau, voyant que je le fais à la main. Elle est un véritable moulin à parole. Un phénomène. Elle parle et parle et parle, soliloque et jabote, semble ne jamais s'arrêter que pour me montrer des kilomètres de photographies, des photos de famille jusqu'à la troisième génération, les nouveaux venus, les récemment mariés, les moins récemment mariés, des photos de parades orangistes, des photos d'elle en ménagère des années 1950, en survivante du Titanic, en Lady edwardienne, et toujours le même sourire, un sourire éclatant qui se promène de cliché en cliché, inaltérable, inoxydable. Elle parle beaucoup donc, les mots s'échappent de sa bouche tel le canard sauvage devant le chasseur, les mots comblent chaque recoin de la pièce et clouent au mur les silences gênés, les blancs dans les conversations et autres instants d'éternité. Elle me gave de nourriture et me propose du thé toutes les trois minutes. Ici on boit le thé fort, bien fort, avec un nuage de lait pour l'adoucir. Je ne prends pas de nuage de lait alors le thé a un goût de thé fort, bien fort, un arrière-goût d'amertume qui reste en bouche avant de s'évanouir à la gorgée suivante. Ici on ne gaspille pas l'électricité. Il regarde la télévision, le salon plongé dans l'obscurité. Elle est au téléphone depuis plus d'une demie-heure maintenant. Elle y restera encore longtemps. Il ne pleut plus dehors, ou du moins pas encore. Le temps semble s'être arrêté. C'est ça la vie, ici.

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1 remarques pertinentes:

At 20:57, Anonymous GM said...

quel lyrisme!

 

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