"Up above the world I fly, like a tea tray in the sky"

Bienvenue dans mon humble demeure. Essuyez-vous les pieds en sortant.

mardi, février 09, 2010

If you can hear a piano fall, you can hear me coming down the hall

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Je crois que ma boulangère est follement amoureuse de moi. Il y a de ces signes qui ne trompent pas. Depuis quelque temps déjà j’avais remarqué son petit manège, ses regards légèrement ironiques lancés à mon encontre, cette légère moue non moins ironique lorsque je prononçais « une baguette s’il vous plaît » d’une voix grave et posée. Les choses se sont accélérées. Maintenant, cela doit faire deux semaines, elle me prépare une baguette dès qu’elle m’aperçoit, et je n’ai plus qu’à dire merci. Je trouve celà profondément déplaisant. Serais-je si banalement prévisible ? Sans soute. Pourtant je fais des efforts. Lorsque je débarque à la bibliothèque, j’essaie de ne pas m’asseoir à la même place que la fois précédente, c’est parfois difficile de résister à l’attraction de l’aimant, mais je le fais bien souvent. Les affres de l’habitude. Est-ce qu’elle s’en rend compte ma boulangère qu’elle me prive d’un pan de liberté, d’indécision, d’incertitude quant au choix de mon pain ? Ah oui, et puis ah oui je l’avais oublié celle-là, un autre glorieux épisode de ma vie. Dans cette même boulangerie, il y a des mois de cela, ou peut-être pas tant que ça, je venais de payer ma baguette et je m’étais pris la vitre fenêtre en pleine face – enfin en plein genou, en pleine face de genou - en croyant que celle-ci était ouverte. Parce qu’elle est ouverte d’habitude. L’habitude. Et puis elle était bien propre la vitre. Vous n’imaginez pas à quel point on se sent con dans ces moments là, cela n’arrive pas que dans les films. J’avais bredouillé je ne sais même plus quoi, un truc ridicule, tentant tant bien que mal de conserver ce qui me restait de dignité, et puis j’avais quitté la boulangerie, par la porte cette fois, avant de rentrer chez moi et de pleurer à chaudes larmes sur le monde et son injustice.

J’hésite parfois à demander autre chose qu’une baguette, rien que pour retrouver – si ce n’est ma fierté, ma fierté, ma fierté – du moins l’illusion de ma liberté. Ce bon vieux Libre Arbitre. Un pain de campagne. Tranché s’il vous plaît. Oh non, pas tranché finalement. Oui, ce sera tout oui. Ah non, je vais prendre un pain au chocolat aussi (même s’ils sont vachement chers), désolé je ne sais pas où j’ai la tête aujourd’hui, aujourd’hui. Merci. Voilà, au revoir !

Et pendant qu’au-dessus de ma tête se meurent des milliers étoiles et que des comètes filent et filent à toute allure je pourrai repartir d’où je viens, voire même autre part, une diffuse impression de liberté s’écoulant peu à peu le long de mes veines, artères et autres capillaires. Faire de chaque jour un jour différent quoi. Et tout cela grâce à ma boulangère à moi.