"Up above the world I fly, like a tea tray in the sky"

Bienvenue dans mon humble demeure. Essuyez-vous les pieds en sortant.

lundi, août 31, 2009

Tout est calme, ou presque


Elle grimace et me glisse que Londres c'est vraiment "too cosmopolitan", je ne sais quoi répondre à cela mais peu importe, elle est partie sur autre chose. Mais je l'aime bien quand même. C'est fou ce que les gens sont complexes, c'est trop compliqué, il devrait y avoir les gros cons d'un côté, et les gens biens de l'autre, et pas ces espèces d'hybrides inclassables dont on ne sait trop quoi penser. Scarlett vient de partir. Scarlett c'est une choupinette de même pas deux ans avec une bonne bouille qui se met à pleurer dès qu'elle me voit, quoi que je fasse.
In the golden afternoon
Depuis quelques jours il y a un chinois qui traine au quatrième étage, ou peut-être un japonais, oui je pense que c'était un japonais. La cinquantaine, pantalon de costume bleu marine, chemise blanche avec trois crayons dans la poche, lunettes au nez et tempes grisonnantes, il ne se sépare jamais de son sac à dos noir. Il erre entre les rayons, choisit quelques livres, je crois que ce sont principalement des pièces de théâtre, puis il en fait quelques photocopies. Parfois il joue avec son Iphone. Bref, il a l'air de bien se faire chier. A moins qu'il ne soit un espion ? Ou un touriste perdu, n'ayant pu rejoindre son car à temps ? Je ne sais pas, mais il s'en passe des choses ici.
Hmm
Il y a aussi des chercheurs, visages fermés et post-it en pagaille, pauses cafés et pianotement sur clavier sur les uns, gribouillis indéchiffrables au stylo bic pour les autres. Je préfère de loin ces derniers parce que les vieilles biques qui tapent sur leur clavier comme des bûcheronnes moi ça me rend fou, pourtant je n'ai rien contre les vieilles biques, loin s'en faut.
Certes.
Il y a même des touristes dans cette bibliothèque, ils ne restent jamais bien longtemps, courants d'air d'imperméables souriants, d'appareils photo en bandoulière et d'air légèrement gênés d'être là où ils sont, de respirer le même air que nous les chercheurs qui travaillons, alors ils s'en vont et retournent se faire rincer dehors. Il y a aussi une mamie tout de rose vêtue qui prend des notes à l'aide d'un vieux crayon bleu. Elle murmure les mots qu'elle écrit, c'en est presque hypnotique.
Oui
Enfin bon voilà quoi, c'est presque la fin, encore une fois.

vendredi, août 21, 2009

Parity of esteem


Chaque soir à mon retour à la maison, je suis accueilli par cette phrase : Did you get a lot of work done today? Et je ne sais jamais trop quoi répondre. Alors je réponds je ne sais trop quoi.

N’allez pas croire que la Linen Hall Library n’est faite que de vieilles pierres et de bois car ce n’est pas vrai, c’est même inexact pour ne pas dire globalement faux. La Linen Hall Library n’est donc pas la bibliothèque de mes rêves mais je l’aime bien quand même, et c'est finalement ça le plus important.

Je n’ai jamais vu de temps aussi versatile qu’ici, c’est incroyable, on ne sait où donner de la tête. Je lève les yeux, soleil éclatant, resplendissant de majesté, à peine le temps de les baisser que déjà il pleut, averse monstrueuse ou torrentielle, je détourne le regard pour bientôt sentir la chaude caresse du soleil, nuages percés de lumière éblouissante, presque irréelle, mais aussitôt l'averse s'abat de nouveau, trombes d'eau se déversant sur des milliers de parapluie, déluge de pluie comme pour rincer les rues des litres de sang versé, 1521 morts de 1969 à 2001, certainement plus depuis, de quoi repaître un vampire pour une ou deux éternités.
Lame
Belfast. Plus de 1500 morts donc, en trente ans de conflit mais des gens qui font la queue pour attendre le bus, tranquillement, sans trop se bousculer ou se piquer la place. Si l’on reste dans le centre ville, ce qui est ma foi mon cas, il est presque impossible de s’imaginer la violence insensée qui a marqué le quotidien de cette ville pendant toutes ces années. Des manifestations de haine pure, sans nuage de lait ou de sucre pour l'adoucir, c’est effrayant, vraiment effrayant, je vous passe les détails, j’ai lu des choses que je ne suis pas prêt d’oublier, nauséabond, inconcevable. La haine bordel. Tout n’est pourtant pas fini, même dans le centre ville moderne et bien sapé, repu de subventions européennes, les dernières alertes à la bombes remontent au mois de mars 2009, et il y en aura d'autres. Il est temps de tourner la page, de changer d'habits, nouvelle teinture, nouvelle respectabilité, mais il y a des détails qui ne trompent pas, tant de choses qui persistent, le Diable n'est-il pas supposé se cacher dans les détails ?
Des détails donc
Il y a une ou deux semaines nous sommes descendus à Dublin, Baile Átha Cliath, afin d’assister à un quart de finale de football gaélique entre les comtés de Meath et de Mayo et à une demi-finale de hurling entre les comtés de Kilkenny et de Waterford. Croke Park Stadium, 80000 places asises, le temple du sport gaélique. 63000 spectateurs pour ces deux matches, un truc de fou, des familles et des familles, du grand-père au bout de chou, tous bardés des couleurs de leur comté, dans une ambiance chaleureuse, c’était bien. Croke Park et la Gaelic Athletic Association, qui interdisait jusqu'à peu à ses membres de jouer à des sports anglais, rugby ou football. Nous y sommes allés. Nous c’était moi et lui, enfin un autre lui, nous l’appellerons T., et T. il est protestant. Et le nombre annuel de protestants qui assistent à des matches gaéliques il ne doit pas dépasser le nombre de doigt d’une gueule-cassée. Car oui, tout divise ici, tout divise. Si tout le monde joue au football – car le football est un sport universel, un langage planétaire, un exemple unique au monde de contre-américanisation – il y a autant de catholiques qui jouent au cricket ou de protestants qui pratiquent le hurling que de compassion dans le cœur de Jean-Marie Le Pen. Tout divise, du moins presque tout. La religion la politique la culture le territoire le sport l’éducation mais où va-t-on ? Même mes mots que l’on emploie divisent, Derry/Londonderry, 6 counties/Ulster, quoique l’on fasse on est amené à prendre partie, obligé, il est presque imposible de rester en équilibre sur le grand mur de brique rouge qui sépare les deux communautés, avec ses rouleaux de fil barbelés et ses inscriptions délavées, c’est bien trop glissant, vraiment casse-gueule, on ne peut pas résister éternellement, on tombe de l’un ou de l’autre côté, fatalement.
Tout de même
Mais tout n’est pas perdu non, tout n’est pas perdu. Il y a ce jeune homme à l’accueil du troisième étage, juste sympa, pas sympa dans le sens sympa, mais sympa dans le sens bien, empathique, bien, quelqu’un de bien, de sympa quoi, alors on reprend espoir, ou on n'en reprend pas, c'est au choix.

mercredi, août 19, 2009

Hebdromadaire


Il regarde le golf à la télévision, elle est pendue au téléphone, je mange une pomme, tout va bien. Dehors il fait vert et gris, presque nuit. Il y a Timmy qui s’est mis à miauler dans la cour, de ses longs miaulements mécontents. Timmy faut pas le faire chier. La semaine dernière il a dévoré un oisillon en entier en moins de deux minutes, faut vraiment pas le faire chier. J’ai inventé un procédé révolutionnaire de photographie, dont le résultat révolutionnaire s’affiche ci-dessus devant vos yeux (ébahis). C’est le paradis des araignées ici, de grosses araignées aux pattes longues et velues qui déambulent le long des murs sitôt le soleil couché. Et le soleil se couche tôt, bien trop tôt, on se croirait en novembre. J'exagère un peu, mais pas trop.
Tranche de quiche
La nuit dernière j’ai rêvé que mon petit frère était mort. Mon petit frère, âgé de 6 ou 7 ans, petite bouille auréolée de cheveux bruns. Je m’en souvenais parfaitement à mon réveil. Bon le truc c’est que je n’ai pas de petit frère. Alors rêver de la mort de son petit frère quand on n’a pas de petit frère c’est assez étrange. Je n’étais pas dévasté, juste triste, triste de ne pas l’avoir connu davantage. Mon petit frère qui n’existe pas.

Je passe mes journées à la bibliothèque, à la Linen Hall Library, entre le deuxième et le troisième étage, et le quatrième aussi. J'aime les bibliothèques, surtout celles de pierre et de bois dont les murs renferment secrets et mystères et certainement bien plus encore. Au quatième étage il y a des rayons en bois plein de livres, rien de bien original, mais il n'y a pas que ça, il y a des tables en bois agrémentées de jolies lampes vertes, une moquette bleue à motifs losangés beiges d'un âge certain recouvrant un parquet grinçant, mais il y a surtout un fauteuil, un vieux fauteuil fatigué, bleu lui aussi, dans lequel on peut d'affaler plus ou moins mollement si le coeur nous en dit, le coeur m'en dit souvent le midi, lors de ma pause obligatoire parce que la Political Collection est fermée de treize à quatorze heures. Si jamais je m'ennuie je m'occupe à regarder les gens et à deviner s'ils sont catholiques ou protestants, c'est vraiment beaucoup plus dur que vous ne le pensez, c'est même presque impossible dans une bibliothèque. Dehors encore, dans la rue, c'est plus facile, on peut s'aider des maillots de football, celui blanc rayé de vert du Celtic Glasgow désignant à coup sûr un catholique alors que celui bleu des Glasgow Rangers ou du FC Linfield sera automatiquement porté par un protestant. Il y a aussi les maillots de football gaélique, pour les catholiques, mais à part ça il n'y a pas grand chose d'autre comme indices. Alors dans une bibliothèque vous imaginez, c'est encore plus dur. Donc je cherche, je cherche et je réfléchis, cela fait passer le temps dans mon fauteuil bleu un peu trop grand.

mercredi, août 05, 2009

Galerie, 1.


Le matin, après avoir avalé mon petit déjeuner, enfin mon breakfast, à base de pommes de terre et de tornade de mots, on me dépose à la gare de Portadown où j’attends sagement le train de 09h45 pour Belfast, 09h45 car l’aller retour coûte £7,70 au lieu de £11,50, oui un tiers en moins après 09h30 ce n’est pas négligeable. Bref, Portadown. Portadown. Portadown et ses drapeaux. Portadown et ses inscriptions murales. Portadown et ses quartiers aux maisons identiques, maisons de froides briques rouges, Portadown et ses mères de dix-sept ans poussant leurs poussettes, Portadown et ses marches estivales qui terminent toujours en émeutes, Portadown le fief protestant, avec son enclave catholique, Garvaghy Road, Portadown et son Tesco, Portadown et ses drapeaux, ses putain de drapeaux. L’enfer à la sauce nord-irlandaise.

Mais c’est l’heure, je prends ma place dans la file, tends mon ticket au poinçonneur, il y a encore des poinçonneurs, un thank you puis on monte dans le train, Lurgan, Moira, Lisburn, lutte contre Morphée pour ne pas le rejoindre, car si je m’endors, si je m’endors je me retrouve à Bangor, je ne sais même pas où c’est Bangor, je ne veux pas me retrouver à Bangor. Je débarque donc en plein cœur de Belfast, Great Victoria Station, bâillement, puis je sors, Great Victoria Street, longe l’hôtel Europa, « the most bombed hotel in the world », cible de choix des attentats de l’IRA Provisoire pendant près de trente ans, je le longe donc, un bâtiment relativement laid, n’ayons pas peur des mots, de style indéterminé ou d’une détermination qui m’est inconnue, c’est plus probable, et puis là stop, je m’arrête.
Choux à la crême.
Glengall Road, première rue à traverser. Je tourne d’abord la tête à gauche, du mauvais côté, puis à droite, du bon côté, puis à gauche, puis encore à droite, de nouveau à gauche, avant de me décider à traverser, je ne sais jamais où traverser, quand traverser, alors je tourne frénétiquement la tête à gauche et à droite tout en traversant et je me retrouve de l’autre côté de la route, sain et sauf. Et je poursuis mon chemin. Par chance il ne pleut pas, il fait même beau, le soleil perce les nuages et me chatouille la nuque, il y a ces deux chrétiennes, là sur la gauche, sûrement des évangélistes avec leurs bibles gratuites et leurs robes d’un autre temps. Je ne leur accorde qu’un bref regard, empli de compassion, tout comme au mendiant pakistanais, ou peut-être indien, toujours sur la gauche, un peu plus loin, en face de l’arrêt de car à touristes et du jeune homme qui aborde les passants pour leur proposer un voyage en car dans les Mourne Mountains, un peu plus au sud, les Mourne Mountains et leur vue imprenable sur la mer d’Irlande, sauf quand il pleut, sauf quand il brume. Stop.
Forward.
Deuxième rue à traverser, plus large celle-ci. Governor Road. Je tergiverse et puis me lance, il faut bien y aller un jour ou l’autre, et le périple continue, un imposant bâtiment à ma gauche, bordé de pelouse impeccable, ceinturé de grilles noires, une fille y est d’ailleurs adossée, une jeune femme, oui toujours à gauche, elle consulte un plan de Belfast, l’air absent, blasé peut-être, et puis il faut prendre à droite, juste avant la statue de je-ne-sais-qui, traverser de nouveau, à deux reprises cette fois-ci, Wellington Place, qui devient rapidement Donegal Square après traversé une autre rue, décidément, Donegal Square donc, il y a plus de monde, des gens attendent le bus, des gens n’attendent pas le bus, des gens vont au travail, d’autres je ne sais où, je prends à gauche, Fountain Street, je suis tout proche maintenant, deux chrétiens à ma gauche, cette fois ce sont des hommes, barbe et chemise, bible à la main, je les évite, Linen Hall Library, le gentil monsieur de l’accueil, il chantonne quelque chose et me salue, je signe et lui souris, il chantonne toujours, trois étages à monter, je me mets à travailler.

mardi, août 04, 2009

Back2War


Bon. Il pleut de nouveau et on est le trois août. Une sorte de léger crachin insupportable quand on ne possède pas de parapluie, ce qui est bien évidemment mon cas. Les rues se remplissent doucement, il y a même des touristes. Des touristes à Belfast. Je me demande ce que l'on peut bien venir foutre à Belfast, de son propre gré et avec ses propres sous. Belfast c'est moche, il pleut, on bouffe de la merde et les gens sont laids. Mais vraiment laids hein, dans leur majorité. C'est vrai que nous autres français sommes particulièrement beaux et raffinés, mais même en tenant compte de cela les gens sont laids, grossiers. Les filles sont trop maquillées, beaucoup trop maquillées, encore pire que des anglaises. Les garçons ne ressemblent à rien non plus, ils sont tous rasés et en jogging. Bon je simplifie un peu les choses, mais dans l'ensemble c'est ça. Cela permet de se faire une idée générale, un schéma de pensée essentiel à une future étude de cas, encore que, je le répète, je n’ai fait qu’accentuer les traits, d’un trait léger bien que vif et énergique. Il pleut et je suis à Belfast. Je suis à la Linen Hall Library, une bibliothèque qui me plait déjà, mais là n’est pas le plus important.
Again
Le plus important c’est ça : Elle m'a préparé deux sandwiches pain de mie complet-mayonnaise-tomates-fromage non-identifié- dans leur tupperware, un yaourt Tesco à l'orange avec sa petite cuillère et une pomme. Bien sûr je n'avais rien demandé mais je n'avais rien pu faire face à la déferlante de mots qui m'avait cloué sur ma chaise. Comment lui dire en effet que je n'en voulais pas de ses sandwiches, sandwiches dont je savais qu'ils seraient impropres à ma consommation ? Docteur ès sous-entendus cinglants, mes "vous embêtez pas j'achèterai quelque chose" auraient dû l'envoyer valser contre ses fourneaux. Mais non. Le problème avec les sous-entendus, c'est qu'ils ne sont d'aucune utilité contre ceux qui ne les comprennent pas, ou feignent de ne pas les comprendre. Voilà comment je me retrouve avec mes sandwiches dont la seule vue me rappelle l'apocalypse selon St Jean. Que faire alors, que faire ? Je raisonne de manière synthétique, mathématique, métalique. Puisque je ne peux pas les manger il me faut donc trouver une autre solution. Je réfléchis. Je ne peux pas non plus lui rendre les sandwiches intacts à mon retour, il s'agirait là d'un incident diplomatique abominable. Tout balancer à la poubelle ? Mon éducation soignée et ma morale délicate me l'en empêchent. Donner les sandwiches à un pauvre sans-abri affamé ? Je ne suis pas cruel à ce point, ils n'ont pas mérité cela. Je réfléchis. Puis je décide. J'en jette la moitié dans deux poubelles différentes et je lui annoncerai à mon retour que je n'ai pas trop aimé.
Again
Je lui ai en effet déclaré que que je n'avais mangé qu'un sandwiche parce je n'aimais pas la mayonnaise. Elle m'a dit que ce n'était pas grave, qu'elle était désolée et qu'elle me ferait dorénavant des sandwiches sans mayonnaise. J'adore ma vie.

dimanche, août 02, 2009

Falling


Je suis de retour ici. Ici, là où il pleut plus que souvent, où les détonations destinées à éloigner les oiseaux des pommiers rythment le jour et la nuit. Les épouvantails ont disparus, eux aussi ont succombé aux machines et à leurs déflagrations régulières. Parfois les corbeaux ne s'y laissent pas prendre. C'est alors aux canons des fusils de tonner de leur vacarme qui n'a, cette fois, plus rien d'inoffensif. Et il ne reste que des plumes. Ici on mange des pommes de terre. Beaucoup de pommes de terre. Ici les drapeaux fleurissent dans chaque rue et flottent orgueilleusement du haut de leur hampe, Union Jack et drapeau nord-irlandais d'un côté, drapeau tricolore irlandais de l'autre. Les trottoirs sont peints des mêmes couleurs et les murs sont parsemés de slogans équivoques à la gloire de l'un ou de l'autre camp. Ici il y a des lits chauffants que l'on peut activer à volonté à l'aide d'une sorte de télécommande électrique. Ici c'est la campagne et son rythme de vie. On mange quatre fois par jour et le beurre ne va pas au réfrigérateur mais dans le garde-manger où il ramollit de jour en jour. On ne mange pas de pain si ce n'est l'étrange wheat bread qu'elle prépare. Il et elle mangent ensembe, nous ne mangeons qu'ensuite, selon un rituel apparement immuable. Des pommes de terre. Il parle peu, très peu, ses quelques phrases me sont parfois destinées. Je ne comprends généralement pas grand chose à ce qu'il me dit mais peu importe, je souris quand il faut ou je plonge dans ma tasse de thé pour m'y réfugier, bien au chaud. Il m'épluche mes pommes de terre au couteau, voyant que je le fais à la main. Elle est un véritable moulin à parole. Un phénomène. Elle parle et parle et parle, soliloque et jabote, semble ne jamais s'arrêter que pour me montrer des kilomètres de photographies, des photos de famille jusqu'à la troisième génération, les nouveaux venus, les récemment mariés, les moins récemment mariés, des photos de parades orangistes, des photos d'elle en ménagère des années 1950, en survivante du Titanic, en Lady edwardienne, et toujours le même sourire, un sourire éclatant qui se promène de cliché en cliché, inaltérable, inoxydable. Elle parle beaucoup donc, les mots s'échappent de sa bouche tel le canard sauvage devant le chasseur, les mots comblent chaque recoin de la pièce et clouent au mur les silences gênés, les blancs dans les conversations et autres instants d'éternité. Elle me gave de nourriture et me propose du thé toutes les trois minutes. Ici on boit le thé fort, bien fort, avec un nuage de lait pour l'adoucir. Je ne prends pas de nuage de lait alors le thé a un goût de thé fort, bien fort, un arrière-goût d'amertume qui reste en bouche avant de s'évanouir à la gorgée suivante. Ici on ne gaspille pas l'électricité. Il regarde la télévision, le salon plongé dans l'obscurité. Elle est au téléphone depuis plus d'une demie-heure maintenant. Elle y restera encore longtemps. Il ne pleut plus dehors, ou du moins pas encore. Le temps semble s'être arrêté. C'est ça la vie, ici.

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